Parmi ceux qui, ces trente dernières années, ont introduit un nouveau paradigme dans la réhabilitation, seulement quatre sont des kinés : Pavel Kolar (le fondateur tchèque de la Stabilisation Neuromusculaire Dynamique), Brian Mulligan (méthode Mulligan), et Ron Hruska, (Postural Restoration).
Certains, sans être kinés, ont eu un impact, tout aussi considérable, dans le domaine des tissus mous, notamment le chiropracticien et kinésiologue américain, Andreo Spina (Functional Range Conditioning).
D’autres ont innové dans les techniques. Parfois chiropracteurs : Eric Goodman (fundation training) ou Michael Leahy (A.R.T.), d’autres fois gurus du fitness, tel le controversé Naudi Aguilar (qui a eu au moins, quoiqu’on en dise, le mérite de sensibiliser le monde de la préparation physique à l’importance des schémas moteurs en rotation), ou le Youtuber «thekneesovertoesguy» inspiré par son mentor, récemment décédé, Charles Polliquin. N’oublions pas non plus, tous ceux qui ont fait avancer la thérapie physique en créant de nouveaux outils de fitness, lesquels ont donné accès à une nouvelles catégorie d’exercices, comme le TRX de Randy Hetrick, le Stick Mobility Concept de Dennis Dunphy, le Bosu de David Weck ou le ViPR de Michol Dalcourt, qui sont maintenant utilisé partout.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, le kinésithérapeute Kelly Starret, a eu une influence incontestable sur l’auto-réhabilitation. Il n’a certes rien inventé, mais il a vulgarisé avec brio la méthode australienne de thérapie manuelle Mulligan, la rendant accessible à tous par le biais d’élastiques de Crossfit, remplaçant astucieusement la traction du thérapeute. Il a aussi contribué au développement du myofascial release, c’est-à-dire de l’automassage via Lacrosse balls et rollers en mousse, que l’on peut retrouver dans pratiquement toutes les box de Crossfit.
La kinésithérapie a donc a priori un avenir assuré puisque puisque Mulligan, Kolar et Hruska, entre autres, ont posé les jalons, de la kiné du futur, mais élément nouveau, elle devra désormais compter avec d’autre «big players», c’est à dire avec des systèmes de réhabilitation qui ne prennent pas leur source dans la kinésithérapie. Son avenir dépendra donc de la qualité de sa recherche et des innovations. En effet, le fitness, le Crossfit et le yoga moderne sont devenus très créatifs dans le domaine de la rééducation.
Il devient de plus en plus évident, à l’observateur impartial, qu’aucune méthode thérapeutique n’a un spectre assez large pour se suffire à elle-même. Conséquence, de plus en plus de kinés remplissent leur boite à outil avec tout ce qui semble marcher et c’est tant mieux. Une approche pragmatique basée sur les résultats vaut bien mieux que de s’enfermer dans écoles, qui flattent l’égo de leur fondateur et biaisent le jugement de leur partisans.
Ce qui est étrange c’est que, parmi les kinés que j’ai cités au début, certains ont eu un impact plus important sur la chiropraxie que surs la kiné, alors que logiquement ça aurait du être l’inverse. La méthode de Pavel Kolar, par exemple, a séduit la chiropraxie US, alors que son influence est encore marginale en kiné, surtout en Europe. Idem pour Ron Hruska et sa Postural restauration. Il est intéressant de souligner au passage que beaucoup de chiros américains ont renoncé courageusement à la chiropraxie traditionnelle (axée sur les manipulations vertébrales) parce qu’ils n’y croient tout simplement plus. Ils pratiquent, à la place, de la D.N.S., de l’A.R.T. (Active Release Technique) ou encore du Functional Range Conditioning et ils continuent d’appeler cela chiropraxie alors que cela n’a plus rien à voir avec les postulats de Daniel David Palmer.
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Observons d’ailleurs qu’aux États-Unis, au Canada ou en Allemagne, il n’est pas nécessaire d’être kiné, pour se proclamer expert en réhabilitation et cette tendance se reflète dans les médias sociaux, où toute une variété de profils propose désormais du contenu en thérapie physique : des thérapeutes sportifs aux professeurs de yoga, en passant par des «éducateurs médicaux sportifs» et des «spécialistes en exercices thérapeutiques». En France et en Belgique, fort heureusement, le kiné a une fonction protégée, mais son expertise tend, depuis cinq ans, à se dévaluer du fait de l’inflation de l’information mise à disposition du public par les kinés créateurs de contenu. Ces derniers ont un double effet, positif en faisant connaître et apprécier leur profession, négatif dans le sens qu’il est devenu facile, après une rapide recherche, de soigner soi-même un grand nombre de pathologies courantes, sans devoir nécessairement consulter.
La kinésithérapie moderne est la réunion pas forcément naturelle de quatre grands courants ayant peu de chose en commun :
- La thérapie par l’exercice, dont l’origine remonte à la nuit des temps, ayant puisé dans les traditions orales des écoles de lutte, de cirque et de gymnastique, qui avaient toutes leurs secrets pour soulager contusions et blessures. Exemples modernes : le Pilates, la méthode Feldenkrais, des techniques spéciales comme le Jefferson Curl, inspiré par Coach Sommer etc. Elle s’est considérablement développé depuis une dizaine d’année, grâce notamment à l’émulation créée par les réseaux sociaux,
- Le massage, que la kiné partage avec le Wellness et qui a, selon la recherche, une efficacité réelle quoiqu’essentiellement déstressante et symptomatique, même si le massage a un rôle depuis peu reconnu dans la santé des fascias. Il prend son origine avec Pehr henrik Ling dans le Tui Na chinois. Aujourd’hui on peut dire, que tout massage thérapeutique sérieux s’appuie sur les fascias et doit beaucoup à l’héritage d’Ida Rolf (qui elle non plus n’était pas une kiné), ainsi qu’à ses successeurs de l’école allemande : Thomas Meier, etc.
- La thérapie manuelle, qui est une activité non protégée, puisque n’importe qui, sans aucun diplôme, peut se prétendre thérapeute manuel, et qui est une lointaine descendante des techniques des rebouteux. Elle est recommandée surtout en phase aiguë, dans les blocages articulaires, ou avec des patients incapable, pour une variété de raisons, d’être acteur de leur guérison. La méthode Mulligan est un cas à part, étant quasiment une forme d’exercice en soi, puisque on peut réaliser beaucoup de manipulations soi-même, pour peu qu’on ait un élastique ou une sangle (confer. Kelly Starrett).
La kiné est encore bien positionnée sur le créneau de la thérapie manuelle, mais elle est fortement concurrencée par l’ostéopathie, laquelle traite beaucoup plus de pathologies, même si une grande part de son domaine d’action, notamment au niveau crânial et viscéral, relève de la croyance et non de la preuve scientifique.
- L’entrée en scène tapageur des thérapies « bio-psycho-sociale » s’inspirant des découvertes de la « pain science » et assise sur le trépied dialectique des données de la recherche, de l’expérience clinique et des préférences du patient. En fait ce ne sont pas des thérapies à part entière, mais une méthodologie qui prétend s’agréger aux autres et surtout à la thérapie par l’exercice. Cependant, alors que pour cette dernière l’exercice est analogue à un médicament, avec un effet ciblé, l’E.B.P., ne lui reconnaît pas cette efficacité, mais attribue l’issue thérapeutique à une conjonction de facteurs. Dans le cas du mal de dos, par exemple, elle admet que l’exercice est essentiel, mais sans conclure que tel ou tel exercice est fondamentalement meilleurs ou pire qu’un autre. Pourtant tout thérapeute un peu sérieux sait, par expérience, que l’éventail d’exercices, à même de faire progresser rapidement un patient, est beaucoup plus restreint qu’on l’imaginerait a priori et que proposer, à quelqu’un qui a mal au dos, de faire simplement plus d’exercice, c’est aller un peu vite en besogne, surtout si son activité aggrave ses symptômes ! Cela revient à faire pire que les médecins de la vieille école, qui conseillaient systématiquement la natation à leurs patients lombalgiques, sans se douter le moins du monde que celle-ci aggrave souvent leur pathologie à long terme et que l’incidence du mal de dos chez les nageurs de compétition est supérieure à la normale. Ce flou quant aux moyens justifie, pour certains ayatollahs de l’E.P.B. l’encadrement étroit de l’activité professionnelle par des algorithmes de traitement. Pourquoi pas s’il s’agit d’un carnet de route indicatif, dont on peut, si on le juge nécessaire s’écarter, mais serait une fois ces algorithmes acceptés par la profession, de voir des professeurs déconnectés du terrain, aliéner la pratique des kinés, lesquels ne joueraient plus qu’un rôle mineur dans le succès thérapeutique, lequel dépendrait avant tout : de la recherche, des croyances du patient et de son volontarisme ! Ils seraient alors rétrogradés au rôle de simples assistants.
Je précise en tant que partisan de l’E.B.P. de la première heure (mon livre «Comment j’ai vaincu mon mal de dos» étant le premier livre E.B.P. en français sur le mal de dos), que je suis évidemment favorable à nettoyer la kinésithérapie de toutes les pratiques obsolètes, placebo et pseudo scientifiques, dont l’inefficacité a été démontrée. Je pense aussi qu’il est essentiel de savoir précisément quelles sont les techniques les plus sûres, les plus faciles à mettre en place et applicables au plus grand nombre, afin d’avoir un cadre de référence pour éviter de faire perdre du temps et de l’argent aux patients, en les soignant avec des méthodes qui ont une très faible probabilité de les guérir. Là où je ne suis plus d’accord c’est de considérer que le choix de l’exercice ou de la technique est insignifiant, car cela contredit non seulement mon expérience de thérapeute, mais aussi celle de patient. En effet, quand j’ai souffert du mal de dos, j’ai dû, comme un chercheur d’or, passer au crible des milliers d’exercices, glanés lors de voyages et de rencontres, pour en retirer une dizaine qui ont été absolument clef dans ma réhabilitation. Aurais-je guéri spontanément et avec le temps en faisant juste de l’activité physique? Absolument pas, j’en serais exactement au même point.
Non seulement toutes les formes d’exercices ne se valent pas, mais certaines techniques gagnent ou perdent toute leur efficacité en fonction de la qualité du praticien. Par exemple j’ai rencontré lors de mes voyages divers professeurs de Pilates et suivant le style qu’ils enseignaient, suivant leur compétence et leur connaissances anatomiques, les effets sur mon mal de dos ont été diamétralement opposés : exacerbation ou soulagement. Par conséquent dire que le Pilates est bon globalement pour le dos n’a pas beaucoup de sens. Tout dépend du style pratiqué, de la qualité du professeur et de sa capacité à adapter la méthode aux pathologie de ses patients.
Et d’ailleurs l’inverse se vérifie aussi : en donnant le même exercice à quelqu’un qui a un bon contrôle moteur (athlète, danseur ou pratiquant d’arts martial) et à un individu qui est resté sédentaire toute sa vie, on n’obtient pas le même résultat, car dans le premier cas le patient parvient à isoler ses muscles et à ne mobiliser que la/les articulations concernées alors que dans l’autre le mouvement est plus global et on loupe alors l’effet escompté, C’est ce que les études n’arrivent pas à quantifier et c’est un biais extrêmement difficile à neutraliser.
Les trois principales approches (exercice, TM et massages) sont des pratiques bien distinctes et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui excellât dans les trois, ni même dans deux. Les meilleurs thérapeutes manuels font souvent de piètres prescripteurs d’exercices et la réciproque est vraie. De même, les bons masseurs doivent passer énormément de temps à développer leur toucher et à peaufiner leur technique et s’ils sont passionnés par leur art, ils ont souvent peu d’intérêt pour les autres approches.
Objectivement les meilleurs thérapeutes manuels que j’ai rencontrés ne m’ont jamais proposé un seul exercice valable à faire ensuite chez moi. Cela s’explique par le fait que chaque discipline, pour y exceller, demande de s’y consacrer exclusivement. Trouver par exemple l’exercice clef pour chaque patient n’est pas aussi facile que l’on pourrait le croire, car il existe des centaines de variantes et de progressions/régressions et il faut avoir, comme prérequis, une connaissance très poussée de son propre corps pour s’imaginer dans la peau d’un autre. D’ailleurs les meilleurs thérapeutes par le mouvement sont presque toujours des sportifs accomplis, ayant acquis une grande connaissance de leur corps et j’ajouterais, au risque de surprendre, que le fait d’avoir réussi à se réhabiliter soi-même de pathologies complexes, constitue un avantage énorme pour soigner ses patients En effet guérir d’un problème quelque peu sérieux est un processus long, difficile et compliqué, un peu comme escalader une montagne. Choisira t’on pour guide quelqu’un qui l’a déjà gravie ou ferons nous confiance à quelqu’un qui a lu toutes les études et passé des années à faire des statistiques sur les taux de réussite de telle ou telle voie, ou encore à celui qui a étudié les cartes mais ne connais rien du terrain ? La question ne se pose même pas.
Les adeptes de la thérapie manuelle tout comme ceux qui privilégient l’exercice et l’EBP ont en général assez peu de goût pour le massage. Les kinés qui pratiquent fréquemment le massage sont de la vieille école, ou bien aiment utiliser leurs mains pour soigner. Une autre raison et de fidéliser une patientèle friande de ce type de soin. Le massage thérapeutique n’est au fond qu’un type particulier de « caresse » et l’être humain a un besoin viscéral de contact, en particulier les personnes âgées et les personnes isolées. Vu le faible coût des consultations la tentation est grande de se procurer à faible coût une sensation agréable, rien de plus. Un tel type de traitement relève dans ce cas plus du wellness et de la psychothérapie que de la physiothérapie.
Je vais vous raconter une anecdote sur l’importance du toucher. Durant la période de de Ceausescu, en Roumanie, des pouponnières élevaient des orphelins. Le dictateur avait en effet interdit l’avortement ce qui avait fait exploser les abandons. Ces établissements en prenaient soin physiquement (les nourrissaient et veillaient à ce qu’ils ne manquent de rien), néanmoins ils n’avaient aucun contact physique avec les nouveaux nés. Ces enfants ont fait l’objet, plus tard, de retard au niveau du développement moteur et de pathologies mentales.
Même si je ne suis pas voyant je prévois qu’à l’avenir la kiné pourrait éclater en trois disciplines :
- Des experts en thérapie manuelle
- Des spécialistes en exercice thérapeutique, comme on les appelle en Allemagne, avec éventuellement une casquette de biomécanicien ou de kinésiologue (pas la pseudo science, mais le sens qu’il a outre atlantique, c’est à dire un spécialiste du mouvement) ou de thérapeute sportif. En résumé une kiné axée surtout sur le mouvement. On constate d’ailleurs paradoxalement que même des organismes de formation de kiné sérieux comme physio académie font appel à des intervenants externes non kinés, sur des sujets qui relèvent pourtant du domaine de la kiné, comme celui des tendinopathies.
- Enfin dans la dernière discipline on trouvera des experts en science de la douleur et en thérapie psycho-sociale, avec éventuellement option hypnothérapie, thérapie comportementale, EMDR ou sophrologie,
Le danger que je vois poindre à l’horizon serait de voir les kinésithérapeutes déléguer de plus en plus leur fonction à des coachs vaguement formés, ou même carrément remplacés par des applications Android reliées à des gadgets hightech (comme des plateformes et des capteurs de force dont je parlerai dans un prochain article). Il ne viendrait l’idée à personne (sauf peut-être à des scientologues) de proposer une psychothérapie via une application de smartphone, qui mesurerait le mal être du patient à l’aide de capteurs situés sur son corps, ni de traiter un ulcère à l’estomac via Doctissimo. Un patient souffrant d’une pathologie un peu sérieuse ne sortira jamais, du labyrinthe de sa douleur, sans un accompagnement sérieux en « one to one »,
A ce propos l’E.B.P. tend à minimiser une qualité qui me parait absolument essentielle chez le praticien : l’intuition thérapeutique, laquelle n’a bien sur rien à voir avec un quelconque sixième sens, mais à la capacité de filtrer dans la vaste expérience du thérapeute la «meilleure» technique, à l’instant t, pour le patient lambda. A ce propos J’écoutais récemment sur France Inter un reportage sur Françoise Dolto, une psychothérapeute pédiatrique qualifiée d’extraordinaire par tous ceux qui l’ont connu, à cause de son intuition géniale lui permettant de mettre des mots sur des maux et comprendre ce que les enfants n’arrivaient pas, pour des raisons évidentes, à exprimer. Un de ses plus grand succès était la guérison instantanée d’une enfant psychotique qui quand elle était mal se tapait la tête contre un mur. Elle arriva instantanément à lui faire abandonner ce comportement par une simple phrase, mais qui revêtait pour la petite fille une signification très particulière.
Si l’intuition thérapeutique existe dans la psychanalyse, elle existe nécessairement aussi en kiné, lorsque le soignant parvient à représenter dans son corps la souffrance du patient pour avoir l’intuition de l’exercice qui lui sera le plus utile.
L’avenir nous dira comment la kiné saura le relever ce challenge !
Pour le moment il n’y a pas encore trop de soucis à se faire vu que la kiné a un avenir certain, notamment dans les domaines qui lui sont réservés, comme la neurologie, la cardio-respi, la revalidation, la pédiatrie ou la traumatologie.
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