Le mirage du High-Tech
Il y a deux ans je fus contacté par une entreprise qui commercialise des plateformes de force. Son manager me proposait de promouvoir auprès des kinés leur produits. Indice : cette compagnie fait énormément de pub sur Facebook. La collaboration n’a finalement pas eu lieu pour diverses raisons, l’une d’entre elles étant que je n’étais pas (et que je ne suis toujours pas) convaincu de l’utilité de cette technologie et je vais vous expliquer pourquoi.
Beaucoup de kinés se laissent séduire par ce type d’appareil. Le monitoring high-tech confère une sensation de contrôle et on a l’impression d’adopter une méthode scientifique. Cette impression se transmet au patient car les gadgets high-tech donnent l’impression d’être à la pointe. Cependant, employer des méthodes chiffrées et utiliser des appareils de mesure n’est en aucun cas le gage d’une méthode scientifique, encore faut-il mesurer les bons paramètres, les interpréter et traiter le patient de façon efficace.
Responsabiliser le Patient
Couplés à des applications, les capteurs et plateformes de force permettent de suivre un patient à distance et de contrôler sa régularité, de voir l’évolution de sa force ou de son équilibre, donc de mesurer son progrès et de lui transférer la responsabilité de sa guérison, ce qui est une très bonne chose dans le principe : le kiné étant plus « Arthur » que « Batman » et le patient devenant l’acteur de sa propre réhabilitation.
Cependant, Les études montrent que les patients qui ne sont pas sportifs et/ou volontaires ont du mal à réaliser leurs exercices seul chez eux, d’abord à cause de la difficulté à se motiver : c’est déjà dur d’être régulier en utilisant des applications de fitness sur smartphone, a fortiori quand ce sont des exercices de réhabilitation potentiellement plus complexes et plus douloureux.
La thérapie connectée a des résultats mitigés
A cela s’ajoute la difficulté d’utiliser ces appareils. Par exemple on voit que seulement 7 % des applications mobiles dans le domaine de la santé ont un plus de 50000 utilisateurs actifs. Source : Achieving High Retention in Mobile Health Research Using Design Principles Adopted From Widely Popular Consumer Mobile Apps. Geoffrey H Tiso and Al.
De plus, les patients ont naturellement de la difficulté à se remémorer tous les points clefs d’un exercice, donc ce dernier n’a pas exactement la même efficacité qu’au cabinet ou lors de sessions en one to one, où le kiné peut corriger instantanément une erreur d’exécution.
Une mesure quantitative mais peu qualitative
Enfin ce type d’appareil mesure seulement l’évolution de la force et ne donne pas d’indications sur la réalisation correcte (ou pas) du mouvement ni sur le mode de recrutement musculaire qui est un paramètre essentiel. Par exemple lors d’un mouvement de poussée est-ce que je recrute davantage le pectoral, le deltoïde, le triceps, le serratus antérieur ? Impossible de le savoir sans être à proximité de la personne avec soit la possibilité de palper les muscles ou d’observer le mouvement afin d’appliquer des correctifs et dans ce cas je n’ai pas besoin de capteurs de force. Ce feed-back qualitatif est beaucoup plus important que celui quantitatif, fournit par les appareils de mesure de la force.
Une application limitée
Un autre argument c’est que les capteurs de force permettent de mesurer précisément la force isométrique. C’est vrai mais cela a t’il un intérêt majeur ? Un testing manuel ou via des machines de musculation, des élastiques, etc, est largement suffisante dans 99,% des cas. L’usage du high tech permet de faire de belles courbes et statistiques, ce qui s’avère utile pour réaliser une étude clinique sur cinquante individus, mais avec un seul patient est-ce indispensable ? Pour être tout à fait honnête on peut dire que le seul avantage est de booster la motivation du patient, en mesurant ses progrès si infimes soient-ils. Cela justifie-t-il l’investissement ?
Difficile d’isoler un muscle pour suivre son évolution
De plus, il est généralement difficile d’isoler le muscle dont on veux tester la force à moins d’utiliser des machines qui permettent de bloquer l’articulation cible, comme les excellentes machines de la marque David, rares car coûteuses. En outre la mesure peut être faussée par la douleur venant inhiber l’effort. C’est le cas dans en phase aiguë et dans les douleurs chroniques comme le mal de dos l’arthrose, etc. Ces mesures sont donc souvent sujettes à caution.
Un interêt évaluer la posture lors d’un effort
Ces appareils permettraient d’observer si, lors d’un saut ou d’un deadlift par exemple on pousse plus avec une jambe que l’autre ce qui est intéressant. Cependant, on peut tout à fait arriver au même résultat, en utilisant deux balances à 30 euros, une sous chaque pied. De plus, si on pousse plus avec une jambe qu’avec l’autre c’est visuellement observable par les compensations que cela introduit, sans la nécessité de quantifier la différence de pression.
Dans ce cas, il vaut mieux tester ses réflexes de façon fonctionnelle grâce à des mises en situations réelles comme des rattrapés de bâton à la chute aléatoires ou des simulations de chute/rétablissement en piscine ou sur des tapis ou encore par un travail d’équilibre classique et de renforcement des stabilisateurs.
Une application dans certains troubles de la posture
Ne vous méprenez pas, je suis pour le high-tech quand il fait progresser la thérapie et je pense que ces capteurs/ plateformes ont leur intérêt, mais beaucoup plus limité que ceux qui les commercialisent voudraient nous faire croire. Par exemple il y a des études qui ont mis en évidence que les victimes de trauma témoignent d’un changement postural avec moins d’oscillations latérales. Pour des mesures aussi fine le high-tech permet d’apporter une véritable valeur ajoutée.
D’autres types appareils sont en revanche beaucoup plus intéressant, par exemple les lampes de réactivité pour la coordination et la rapidité des réflexes, dans la préparation des sportifs et pour leur côté ludique, ou encore l’analyse 3D grâce aux capteurs de mouvement qui permet de comprendre le mouvement d’un athlète ou le mécanisme d’un lumbago. Le feed-back fourni par les capteurs et plateformes de force est beaucoup trop pauvre, qualitativement, pour orienter efficacement la thérapie.
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2 commentaires
Jean · 18/09/2023 à 16:20
Super! Merci !
KineForce · 25/10/2023 à 15:40
Avec plaisir !